Un chemin pour instruire et construire l’humain
Texte de Suzy Platiel, ethnolinguiste et maître de recherches au CNRS (février 2018)
« Il est nécessaire que nous apprenions à bien utiliser tous les nouveaux outils de communication et de transmission. Cependant, ceux-ci, tout en modifiant radicalement notre rapport au temps
et à l’espace, sont en train de nous déshumaniser en généralisant l’usage de la communication indirecte et souvent anonyme à la place de la communication directe, ce qui transforme
les relations à l’autre en relations indirectes et virtuelles.
Or le conte, écouté et raconté, s’il ne peut pas, à lui seul, résoudre
tous les problèmes, permet au moins la reconstruction d’un lien social,
le développement d’une solidarité de groupe et la maîtrise de la parole,
qui permettent, entre autres, son usage plutôt que le recours à la violence
pour la résolution de conflits. »
Bref historique du projet
Quelques mots concernant Ludovic Souliman, concepteur de cette approche et ami conteur qui eut la générosité de nous transmettre cet outil de communication exceptionnel qu’est le « Cercle des contes et des Paroles de vie ». . .
Le dispositif « Contes & Expressions » est un outil de réflexion et d’expression à partir du conte. Il a été créé et transmis par le conteur Ludovic Souliman. Entre 2003 et 2014, Ludovic Souliman a été amené à animer au Burkina Faso une dizaine de cycles d’ateliers autour de la tradition orale, la pratique du conte et le collectage de récits de vie.
Lors de ces voyages, interpellé par la force des symboles Dogons, Bambaras et Mandé, peints sur des toiles ou gravés sur des objets, il eut l’opportunité de recevoir un enseignement relatif à ces symboles,
à leur interprétation et l’art du récit qui leur est associé.
« En Afrique, au sein des sociétés de traditions orales, on dit qu’avec ces symboles, il est possible de dessiner ce que l’on ne peux dire. On dit que ces symboles sont là pour éveiller l’esprit des vivants et leur permettre de faire connaissance avec soi et avec les autres. »
Ludovic Souliman
À son tour, Ludovic a peu à peu utilisé ces symboles en France dans les établissements scolaires, en y associant des contes, et en créant de véritables « chemins de parole » lors des séances.
C’est là qu’il a pu observer à quel point cet outil pouvait parler à la fois aux enfants, aux adolescents et aux adultes, tout en les aidant à poser des paroles sur leurs émotions, leurs questionnements
et leur propre existence.
Il a ensuite complété sa propre démarche en sollicitant l’ethnolinguiste Suzy Platiel, à l’origine des
« Cercles d’enfants conteurs » en milieu scolaire, et grande spécialiste de l’Afrique.
Depuis, Ludovic Souliman propose cet outil de l’école primaire au lycée, ainsi que dans des structures publiques telles que médiathèques, centres sociaux, maisons de quartiers, prisons…
Cela fait plusieurs années, qu’il transmet également ces « Paroles de vie » à d’autres conteurs
à travers le monde (France, Suisse et Brésil).
Définition
L’outil « Contes & Expressions » permet de répondre à différents objectifs selon les groupes, les enseignants ou les encadrants qui les sollicitent. Il s’adapte et peut évoluer selon la demande ou le projet initial. Il peut avoir par exemple pour objectif la prévention du harcèlement en milieu scolaire (toujours sous une approche non frontale), et ce, via la stimulation et l’encouragement d’une expression orale sur des objets de parole spécifiques, prévus en amont.
Exemples : « Comment bien vivre ensemble ? » ou « Les autres, qui sont-ils pour moi ? »
Mais aussi sur des thèmes tels que les relations filles-garçons, la place des femmes
dans la société, l’égalité des genres, etc.
Les contes choisis en amont sont essentiellement des contes du monde ; quant aux symboles,
ils auront été sélectionnés à partir d’un répertoire comptant une cinquantaine de cartes symboles.
Le rythme peut être celui d’une séance unique, ou d’une série de plusieurs cercles,
en fonction des objectifs et des besoins.
« Il s’agit là d’un outil de parole et de jeu… du JE en chemin de connaissances. De Connais Sens sur soi et sur l’autre. Il permet une relation forte entre le JE et le NOUS dans un cercle de curiosités. »
Ludovic Souliman
Cette curiosité est naturellement présente dans le cercle grâce aux symboles, que les participants découvrent au fur et à mesure, et qui participent à l’aspect ludique de cet outil.
À chaque fois des rencontres fortes naissent de ces interventions, et un savoir universel
se crée par une parole partagée qui se découvre simplement.
Comment ?
- Les participants sont invités à s’asseoir en cercle, au centre duquel des cartes symboles sont disposées, face cachée. Sur chaque carte figure un symbole qui représente un concept universel, ou force, telle que la connaissance, le futur, la terre, la parole, le chemin, la vérité, la chance, la confiance, le mensonge… Le conteur ou la conteuse les a sélectionné spécialement pour la séance.
- Pour commencer, le conteur ou la conteuse retourne un symbole qu’il a relié à un conte précis, choisi pour résonner par rapport à un objet de parole lui aussi préparé spécialement pour la séance, en fonction du groupe et de la demande faite en amont.
- À l’issue du conte, le conteur ou la conteuse invite chacun et chacune à partager sa propre réflexion, en s’exprimant oralement sur l’objet de parole éclairé par le conte. Le conteur ou la conteuse sont particulièrement à l’écoute non seulement de ce qui est verbalisé dans le cercle, mais aussi des réactions et du langage non-verbal de chacun.e.
- Lors de certaines séances, les participants sont invités à choisir des symboles, parmi ceux qui auront été présentés et interprétés, puis à créer une réalisation graphique simple – soit à l’aide d’un crayon ou d’un fusain, soit en couleurs (feutres ou pastels secs). Ils sont ensuite conviés à commenter leur dessin et les symboles qu’ils ont choisis.
NOTE : les séances suscitent un cadre sécurisant qui encourage et accompagne la prise de parole (écoute et respect de la parole, bienveillance à l’égard de la personne qui s’exprime) mais ne peuvent fonctionner sans l’adhésion et la participation de l’enseignant.e, ou de la personne qui accompagne le groupe.
Dans quels objectifs ?
Pour construire l’être individu
En apprenant à structurer sa pensée par :
- Le développement des capacités d’écoute, de concentration et d’abstraction.
- En osant prendre la parole et s’exprimer (notamment pour les plus réservés).
- Le développement des compétences langagières (vocabulaire, construction de la phrase,
emploi des temps, différence entre récit et dialogue). - L’acquisition du langage d’évocation, de symbolisation, la capacité à se faire des images mentales.
- La compréhension et l’apprentissage du raisonnement logique
(ex. relations cause → conséquence).
Pour construire l’être social, l’être humain
- En apprenant à écouter « l’autre », dans sa sensibilité et son altérité.
- En construisant dans le plaisir, l’écoute et le respect de l’autre au sein d’un groupe, ce qui tend à développer diverses compétences psycho-sociales telles que la confiance en soi, la solidarité,
le sentiment d’appartenance à une même société, le lien social, etc. Ainsi, par effet de ricochet, cette approche non frontale, permet, par exemple, de prévenir et de limiter de manière significative le phénomène de harcèlement. - En s’appropriant, à travers les messages du conte, les codes de comportement de la société humaine.
- En prenant connaissance du patrimoine immatériel de l’humanité, source inépuisable de savoirs universels.
Au sujet de l’intervenant
Alain Karpati
Conteur, auteur, comédien, metteur en scène et musicien
Formé dans les années 80’ à l’art théâtral par Richard Burton (Royal Shakespeare Company, Londres), Alain Karpati a longtemps œuvré pour le théâtre avec Carole Drouelle (compagnie
du Théâtre de l’Acacia, Paris) et formé des générations de jeunes comédiens dans ses cours
de théâtre et d’expression orale.
Conteur professionnel depuis les années 90’ (formé par Henri Gougaud), ainsi qu’auteur de plusieurs pièces et textes de théâtre pour la jeunesse (après avoir suivi des ateliers d’écriture
avec Christine Campini, puis Bernard Werber). Il s’est également formé à la Communication Non Violente (CNV) avec Thomas d’Ansembourg, puis aux Cercles de contes & Paroles de vie
avec Ludovic Souliman.
Il intervient régulièrement en milieu scolaire en employant le conte et l’expression orale
en tant qu’outils de communication.
Alain Karpati est également musicien (clarinettiste) formé à l’ethnomusicologie,
notamment au sujet des Aborigènes d’Australie (1984) et des Bororos d’Amazonie
(thèse en faculté de Paris VIII, 1993).
Un projet en lien avec les textes officiels
Ce projet interdisciplinaire répond à de nombreuses compétences prescrites dans la circulaire de rentrée 2023 de l’Éducation Nationale, ainsi qu’aux exigences présentes dans le Parcours d’Éducation Artistique et Culturelle (PEAC) et dans les programmes scolaires.
Ces compétences, liées à différents domaines, trouveront sens et seront liés tout au long de la mise en place du projet, selon une répartition co-construite par les enseignants et l’artiste, lors de concertations.
Compétences du projet en lien avec la circulaire de rentrée 2023
- L’École comme lieu qui permet de lutter contre le harcèlement sous toutes ses formes.
- L’École comme lieu où se construisent le rapport à l’autre et la vie en société, adossés aux valeurs de la République et à une culture humaniste.
- L’École est et doit être un espace protecteur qui permette à chaque élève de devenir un citoyen libre, éclairé, doté des mêmes droits et devoirs et conscient de faire partie d’une même société.
- L’École comme lieu qui instruit, émancipe et protège.
- L’École comme espace protecteur pour les élèves et les personnels.
- L’École comme lieu qui permet de lutter contre toutes les formes de pressions ou de prosélytismes et respect des valeurs de la République.
PEAC
Parcours d’Éducation Artistique et Culturelle
(extraits de la circulaire)
« Durant son parcours d’éducation artistique et culturelle, à l’école, au collège et au lycée, l’élève doit explorer les grands domaines des arts et de la culture dans leurs manifestations patrimoniales et contemporaines, populaires et savantes, nationales et internationales.
Le parcours se fonde sur les enseignements, tout particulièrement les enseignements artistiques
et l’enseignement pluridisciplinaire et transversal d’histoire des arts,
propice à la construction de projets partenariaux.
Une telle démarche doit permettre de conjuguer au mieux les trois piliers de l’éducation artistique et culturelle : connaissances, pratiques et rencontres (avec des professionnels de l’art et de la culture,
des œuvres et des lieux). »
Projet porté et co-construit en partenariat avec la Compagnie OTomPoTom
CONTACT
06 210 250 43
https://otompotom.fr